Chapitre 13eme
The beginning
Une odeur, un goût... Amande Amère.
Ce n'était pas une journée des plus agréables. Nous avions passé la nuit à bouillir dans son lit aux draps de lin. Cet été était l'un des plus chauds depuis dix ans. Mais la chaleur étouffante avait laissé place en ce jour à un orage tonitruant.
« Pourquoi cette journée ressemble-t-elle tant à la première ? murmura-t-il. »
Nous étions assis sur un banc froid et humide aux abords d'un petit bois touffu et désert. Le Livre entre les mains, il explorait encore la définition de cette créature. Tout autour de nous était calme, seul le vent créait une douce mélodie en venant s'échouer contre les arbres. Il en percutait chaque feuille, chaque branche, les faisant s'entrechoquer dans un brouhaha mélodieux. J'aimais ce bruit.
Il devait être bientôt dix-huit heures et en ce mois d'Août, il faisait encore pleinement jour.
« Nous devrions peut-être rentrer, lui dis-je. »
Une bourrasque ébouriffa ses cheveux et fit tomber quelques gouttes glacées des arbres jusque sur ma nuque. D'un geste rapide de la main, je chassai les quelques mèches de ses yeux, quand je vis la jeune lycéenne dans les sous-bois. Mais elle disparut aussi vite qu'elle était apparue. Un frisson glacial me parcourut quand je repensai à ses orbites vides. Elle était assise, morte, à moitié cachée derrière le saule tortueux et me fixait de ses deux grands trous noirs. J'eusse voulu que ce ne fut que le fruit de mon imagination, que la fatigue qui m'accablait me faisait voir ce qui n'existait pas.
Je passai ma main sur l'avant-bras de Changbin et dis doucement : « Allons-y »
Il me regarda avec un sourire triste puis rangea le livre dans son cartable en cuir. Nous avions voulu revoir Renjun pour discuter avec lui, mais n'avions pu retrouver sa boutique. Comme si elle n'avait jamais existé.
Il prit ma main et nous marchâmes en silence, profitant seulement l'un de l'autre. Nous savions tout deux que ce serait notre dernier jour, nous l'avions décidé au réveil. Nos pas nous guidaient à travers une ville quasi-déserte. J'en étais heureux. La présence des autres devenait difficile à supporter. Leur joie, leur bonne humeur, leur vie.
Je levai les yeux pour regarder le ciel. Le vent charriait à nouveau de gros nuages sombres et menaçants. Je ne me souvenais pas quand l'air était devenu si froid. Je sentis les poils se hérisser sur ma peau au contact de cette brise inattendue. Le ciel s'assombrissait de même que les rues, nous laissant seuls dans cet environnement. Mais la chaleur qui émanait de la main de mon amoureux me rassurait.
« Nous devrions nous dépêcher avant qu'il ne se remette à pleuvoir, me dit-il. »
On pouvait déjà entendre l'orage tonner au loin.
« Pourquoi se dépêcher ? Ce n'est pas comme si cela changerait grand-chose. »
Il embrassa mes doigts et je crus remarquer ses yeux humides. La perspective de la mort lui faisait bien plus peur qu'à moi. J'avais fait la paix avec cette idée. Je savais que nous serions ensemble et c'était tout ce qui importait. Je n'avais pas peur de faire face à l'Érinyes. Elle ne pourrait nous séparer, tout comme la mort ne nous sépareraient pas.
Mais je savais qu'il doutait, et il redoutait plus que tout de devoir me laisser mourir.
Le bruit de nos pas résonnait sur le sol pavé de cette rue de plus en plus froide, alors que l'orage tonitruant s'approchait dangereusement de la ville. Mon regard vagabondait d'enseignes en enseignes, lisant chaque petite lettre dorée tant que je le pouvais encore. C'était fou comme le monde paraissait beau quand la mort fut imminente.
L'air était maintenant presque glacial. Je savais très bien pourquoi. Elle était là, et nous attendait avec impatience. Nous accélérâmes le pas sans même s'en rendre compte. Il ne nous restait plus que cinq-cents mètres à faire avant de retrouver mon appartement quand je sentis quelques gouttelettes gelées me tomber sur le nez. Un éclair fulgurant traversa le ciel gris, le teintant d'une lueur violacée. Quelques secondes suffirent pour que la déflagration de nous parvienne. Je me stoppai net et par réflexe posai mes mains sur mes oreilles. Je n'avais jamais aimé le tonnerre. Je sursautai au bruit puis Changbin passa un bras autour de mes épaules.
« N'est-ce pas idiot ? Demandai-je. J'ai vécu des horreurs et je persiste à avoir peur de l'orage. »
Il me sourit, le regard plein d'amour et alors que la pluie coulait le long de ses cheveux pour glisser sur sa nuque, il m'attira contre lui.
« Ce n'est pas idiot. Je crois même que c'est courageux en un sens. La vie s'accroche à toi. »
Je voulus rire de dépit, mais ses lèvres se posèrent sur les miennes et oubliant tout de ce qui nous entourait, je répondis à son baiser.
Le ciel gronda de nouveau et il passa une main dans mes cheveux trempés.
« Je m'attendais presque à entendre une femme hurler. Comme ce jour-là, dit-il.
— Moi aussi. Que se serait-il passé si je n'avais pas couru jusqu'à cette ruelle... Pensez-vous que... que nous aurions eu une chance de nous en sortir alors ? »
Nous reprîmes notre route et son regard se perdit au loin.
« Non. Je pense qu'elle nous avait déjà choisis.
— Pourquoi nous ? »
Un long silence.
« Je l'ignore.
— Peut-être pourrons-nous lui demander lorsque nous lui ferons face, plaisantais-je. »
Il ne répondit pas et ouvrit la porte de notre bâtiment.
Je n'entrai pas tout de suite. Je me retournai vers la rue et l'observai quelques instants. Ce serait la dernière fois que je la verrai. Je lui dis adieu dans mon cœur et pris une longue inspiration. L'odeur de la pluie embaumait l'air et j'étais content qu'elle fût le dernier souvenir que j'aurai de l'extérieur.
Puis je pénétrai dans le couloir sombre. Nous marchâmes en silence jusqu'à mon appartement. Nous avions décidé de partir là-bas et non dans celui de Changbin. Il avait dit vouloir mourir dans un lieu proche du ciel et je ne souhaitais pas mettre fin à mes jours dans un lieu où j'avais tenté de l'assassiner à plusieurs reprises.
Je me doutais qu'elle dût s'impatienter de nous voir mourir et qu'elle avait trouvé amusant de m'utiliser comme outil pour accéléré le processus de sa chasse.
Nous entrâmes dans la pièce froide et mal ordonnée. Cela faisait longtemps que nous n'avions pas passé du temps là-haut. J'ouvris la petite fenêtre malgré la pluie. Puis toujours sans dire un seul mot, je changeai les draps et enfilai une chemise sèche. Je fis un peu de rangement sous le regard ahuri de Changbin.
« Pourquoi fais-tu ça ? »
Je me tournai vers lui un vieux pantalon à la main.
« Je... Je ne sais pas... Peut-être me suis-je dit qu'il serait plus agréable de partir dans un lieu ordonné et avec des vêtements confortables. Voulez-vous que je vous donne des vêtements secs ? »
Il eut un large sourire qui me chamboula le cœur. Je l'aimais tant. Je l'aimais plus que ma propre vie et je préparai notre mort.
Je lui tendis des vêtements, mais il ne les prit pas.
« Félix ?
— Oui ? »
Il approcha en retirant sa chemise.
« Je veux te faire l'amour. Partageons cela ensemble, une dernière fois. »
Je ne pus empêcher mes joues de rougir à ses mots. Je posai tout de ce que j'avais dans les mains et pris les siennes. Je le tirai sur le lit et nous ne fîmes qu'un durant de longues heures. Jusqu'à l'épuisement total. L'imminence de la mort nous rendait assoiffés pour la vie. Ses mains s'agrippaient à moi dans un dernier espoir de me sentir proche. Il m'embrassait à en perdre haleine sachant trop bien que bientôt, nous ne respirerions plus. Et je lui rendais ses attentions hâtives et sauvages avec la même ardeur. Je n'avais jamais voulu mourir jeune. Je n'avais jamais voulu prendre ma vie, mais aujourd'hui nous n'avions plus le choix et toute cette colère que j'avais refoulé se déversa dans nos ébats, la transformant en amour brûlant et déchirant. Le plaisir, l'amour, le bonheur et la joie se mêlaient à la rage et la tristesse, l'injustice et la haine.
Je compris que nous nous aimions autant que ce que nous ne la détestions. Elle nous avait volé nos vies avec un appétit malsain et jamais nous ne pourrions l'oublier. Dans cette vie ou les prochaines, nos âmes seraient teintées de cette haine, de cette blessure qu'elle nous avaient infligée, de cette fatalité. De ce destin infâme.
La lune dessinait des ombres douces sur nos corps languides. Il était temps que nous quittions ce monde.
Je me tournais vers lui. Il me regardait les yeux emplis de larmes.
« Il est plus que temps, n'est-ce pas ? Demandai-je.
— Oui, mais avant... Laisse-moi dire ce que je n'ai jamais pu te dire. »
Je le regardai avec de gros yeux ? Ce qu'il n'avait jamais pu me dire ?
Il me prit contre lui et posa une main sur ma joue la caressant de son pouce.
« Je sais que les mots n'existent pas pour décrire ce que je ressens pour toi, aussi avais-je évité de le dire de peur de mentir, car ils me paraissent trop faibles pour exprimer mes sentiments. Cependant, avant que nous ne partions, j'aimerais les dire à voix haute, les inscrire dans ce monde que nous quittons, comme témoins de notre vie.
— Je vous écoute Changbin.
— Félix, je t'aime. Je t'aime plus que tout, je t'aime comme je n'ai jamais aimé, je t'aime et t'aimerai toujours. Que ce soit dans cette vie ou la prochaine, je t'aimerai toujours. Jamais rien ne pourrait se mettre entre nous, rien de pourrait contrer cette certitude qui me ronge et me déchire. Je n'aime et n'aimerai que toi à jamais. Même lorsque cette terre cessera d'exister, lorsque le soleil mourra, lorsqu'il ne restera plus rien, je serai toujours là à t'aimer. Et rien ne pourra y changer, car je le sais, je le sens, nous sommes faits pour nous unir et nous aimer. Nous faisons partis d'un Tout qui ne cherche qu'à se réunir et à s'unir. L'étendue de mes sentiments n'a aucun sens. Je serais prêt à... »
Je posai une main tremblante sur sa bouche. Mon cœur ne pouvait supporter plus. Je le savais tout ça. Je l'avais toujours su. Il n'avait pas besoin de l'évoquer. Mon visage mon corps me brûlait et les larmes coulait le long de mes joues.
« Je vous aime aussi Changbin. Je vous aime de la même manière et je n'ai jamais douté de vos sentiments, seulement... »
Je m'étouffai sur un sanglot.
« Dire ces sentiments à voix haute me fait tant plaisir que cela est douloureux. Leur exactitude et leur force me transpercent le cœur et je crains que si vous ne parliez plus, je n'ai plus la force de vous laisser... mourir. »
Je vis son visage se figer, il se rendait sûrement compte qu'il allait devoir me laisser mourir lui aussi. Ses yeux se remplirent de larmes et il reprit d'une voix presque inaudible.
« Alors peut-être devrions-nous faire ça vite... »
Il se redressa sans que je n'ai le temps de le rattraper. Il se dépêcha à son cartable et en sortit deux flacons.
Je l'avais vu ce matin préparer deux boissons mortelles avec le poison que nous avait donné Renjun. Bientôt, nous boirions ces fioles et mourrons. Je me mis à paniquer, mais ne pus me résoudre à me lever.
Il revint s'allonger près de moi et me tendit une des fioles en verre fermé d'un bouchon en liège. Le liquide était incolore. Je la pris, mais ne l'ouvris pas. Mon esprit était totalement vide comme si, ne serais-ce que penser était trop difficile.
« Comment procédons-nous ? Dis-je tout bas.
— Nous avons juste à boire cette fiole d'un coup... Ce ne sera pas indolore. Mais rapide. »
Il me tira à lui.
« J'ai peur, avouais-je.
— Moi aussi. Veux-tu que je te le fasse boire ? »
Le voulais-je ? Une part de moi, une part lâche et égoïste, voulait lui dire oui, mais une autre, refusait de lui infliger ce fardeau.
« Je... Je le ferais moi-même. »
Il acquiesça.
« Ensemble ? Murmura-t-il, tout proche de mon visage.
— Ensemble, répondis-je »
Nous ouvrîmes les flacons en même temps, mais nous marquâmes une pause avant de les porter à nos lèvres.
Je le regardais dans les yeux et il me rendit mon regard. Nous pleurions la vie que nous aurions pu partager si Elle n'était pas venue entre nous, si Elle ne nous avait pas précipité dans cet abîme de désespoir. Nous pleurions tous les jours que nous ne pourrions pas passer l'un avec l'autre, toutes les nuits où nous aurions pu nous aimer. Nous pleurions la vie que nous nous arrachions avec tant de regrets.
« Je t'aime, me dit-il.
— Je t'aime aussi. »
Il me prit dans ses bras.
Et je bus le poison.
Une odeur, un goût... Amande Amère.
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